SQY souhaite doter ses écoles d’outils numériques dès septembre prochain. Le but étant d’améliorer l’apprentissage et l’avenir des élèves, même si les différents impacts soulèvent certaines inquiétudes.
Les 16 000 écoliers de Saint-Quentin-en-Yvelines bénéficiant d’une tablette tactile, d’un Tableau numérique interactif (TNI) ou encore de robots dans le cadre de leur apprentissage pédagogique, cela devrait devenir une réalité à partir de la rentrée prochaine. « SQY doit être l’exemple français de cette révolution technologique dans le milieu scolaire », martèle son président et maire d’Élancourt, Jean-Michel Fourgous (LR). L’agglomération s’est ainsi associée au Département pour déployer, dès l’année scolaire 2019-2020, des outils numériques dans l’ensemble de ses écoles.
« Il y a un projet pour SQY pour développer le numérique dans toutes les écoles, maternelles et élémentaires, explique Anne Capiaux (LR), conseillère communautaire et adjointe élancourtoise à l’éducation, rencontrée le 21 mars, au lendemain d’une réunion entre les adjoints saint-quentinois à l’éducation. On a réuni les maires adjoints des 12 villes de SQY pour leur présenter le projet et leur expliquer comment ça allait se passer. Tout le monde était là, et tout le monde est partant. »
Et d’ajouter : « Il faut recenser le matériel qui existe déjà, voir comment on peut le compléter… Ce qui a été plus ou moins acté, c’est que l’on va équiper toutes les classes avec des VNI (vidéoprojecteurs, Ndlr), des tablettes, un site de soutien scolaire en ligne, un Environnement numérique de travail (ENT) et des robots. On le démarre pour que ce soit livré et en place en septembre. »
SQY deviendra en quelque sorte une agglomération test des Yvelines dans ce domaine. « Le Département donne l’impulsion car lui aussi veut tester cette révolution, avance Jean-Michel Fourgous. Voyant que SQY a un environnement un peu favorable, il souhaite y pousser l’expérience. »
Le tout pour un coût situé « autour de 8 millions d’euros », d’après Anne Capiaux, qui précise que ce montant est pris en charge à « 50 % par le Département, 20 % par SQY et 30 % par les communes ». Des communes qui vont se calquer sur le modèle d’Élancourt, une des villes pionnières dans le déploiement du numérique. Sur la commune, la mise en place d’outils numériques dans le milieu scolaire a près d’une quinzaine d’années.
« Je suis arrivée en l’an 2000, et il y avait déjà une salle d’ordinateurs avec 12 postes, se souvient Pascale Sellin, enseignante à l’école primaire de la Commanderie, à Élancourt. Après, on a évolué vers une classe numérique, c’est-à-dire avec des ordinateurs portables. Puis on a eu les TNI, les Ipad. On fait aussi de la visioconférence en anglais. »
à la plus grande satisfaction de l’institutrice, qui a cette année en charge une classe de double niveau, CP-CM2, d’une quinzaine d’élèves, et utilise le numérique pour environ un tiers de ses enseignements. « Ça facilite bien les enseignements, ça nous permet d’être dans l’ère du temps, se réjouit Pascale Sellin. Ils (les enfants, Ndlr) ont tellement de choses attractives à l’extérieur de l’école qu’il faut que l’on arrive à se moderniser comme le reste de la société. On est obligés de passer par le numérique. Ça permet de diversifier nos outils. Ça n’est pas un remède miracle, mais ça permet d’avoir des exercices autres. »
Selon elle, le numérique présente de nombreux avantages, à la fois pour les élèves et l’enseignant : « On peut faire plus d’exercices et qui ne prennent pas plus de temps, on va cibler notre apprentissage. Ça supprime aussi beaucoup de photocopies. Mes élèves ont un petit film qu’ils regardent un certain nombre de fois selon leurs besoins, et après, ils travaillent ensemble, en groupes, pour essayer de voir ce que l’on avait voulu leur apprendre, puis, ils font leurs exercices. » Elle estime que le numérique permet d’éviter « le frontal » et rend les enfants « acteurs de leur apprentissage ».
Et ce ne sont pas les élus de sa commune qui diront le contraire. Jean-Michel Fourgous met notamment en avant trois bénéfices principaux du numérique dans l’éducation. « Cette nouvelle pédagogie améliore d’une part l’autonomie de l’enfant, avance le maire d’Élancourt. Dès qu’un enfant maîtrise l’autonomie par le e-learning (placer la pédagogie au centre de l’usage des nouvelles technologies, Ndlr), il augmente ses résultats scolaires et sa réussite plus tard à l’université. Ça renforce également la confiance en soi et la créativité, car ça vous oblige à communiquer, échanger, faire des recherches, et ça stimule la créativité de l’enfant. » « Vous augmentez le plaisir d’apprendre des enfants et d’enseigner des profs », insiste le président de SQY.
Il ajoute que « le e-learning est un fort moyen de lutter contre les inégalités sociales et scolaires ». « Les enfants issus de foyers favorisés ont des cours particuliers, des moyens, des supports, lâche-t-il. Ceux issus des foyers défavorisés ont moins de moyens. On s’aperçoit qu’en rendant le soutien scolaire en ligne gratuit, vous avez une plus grande égalité entre les quartiers favorisés et défavorisés. »
Mais ce projet ne semble pas convaincre tout le monde, notamment chez certains parents d’élèves et enseignants. Parmi les sujets d’interrogation, le risque d’addiction des enfants aux écrans est soulevé. Manuela Afonso, secrétaire adjointe de la fédération yvelinoise des Parents d’élèves de l’enseignement Public (PEEP), ne se dit « pas contre le déploiement d’outils numériques » qui « ont apporté beaucoup de positif dans l’éducation des enfants, comme l’ouverture vers le monde ou l’allègement du poids des cartables ». Mais elle exprime certaines inquiétudes, davantage d’ordre médical que pédagogique, sur l’exposition des enfants aux écrans, mentionnant « des études [qui] montrent un déficit du développement cérébral de l’enfant quand il est trop exposé aux écrans ».
Elle ajoute: « Sur Montigny, nous n’avons pas les tablettes en élémentaire, et déjà, les professeurs font des réunions extraordinaires pour demander aux parents d’arrêter de mettre les enfants devant les écrans et de les pousser à lire et à enrichir leur vocabulaire, ajoute-t-elle. Est-ce que cette problématique ne va pas être exacerbée avec le développement des tablettes ? »
Ces interrogations semblent quelque peu agacer du côté de l’agglomération. « On a tout entendu : que l’écran rendait aveugle, que les casques sur les oreilles rendaient sourds, que ça déformait le cerveau, que ça rendait schizophrène », dresse Jean-Michel Fourgous, précisant qu’« il faut bien sûr maintenir une vigilance, surtout avec les plus jeunes ».
Et le président de SQY de poursuivre : « Ça fait 40 ans que je suis quelqu’un de très exposé, je ne suis ni sourd, ni aveugle, … Après, c’est comme une télévision, ce n’est pas le numérique qui a inventé ça. […] Évidemment qu’il faut être vigilant avec un enfant. La tablette est formatée pour le travail scolaire, les ressources, c’est les profs qui les choisissent. »
« Sur une tablette, on peut faire le pire et le meilleur, reconnaît Anne Capiaux. Chez nous, elles sont bridées. Ce sont des tablettes d’apprentissage, avec des ressources pédagogiques. Après, c’est une coéducation avec les familles. » Les enseignants, de leur côté, adaptent également leur pédagogie à la sensibilisation sur ce plan-là. à l’école de la Commanderie, Pascale Sellin assure que la sensibilisation sur ce point « fait partie des programmes » et que l’« on a travaillé en éducation civique sur les écrans, les tablettes et téléphones ».
Cela résout-il l’ensemble des conséquences néfastes présumées du numérique ? Certains semblent en douter. Bertrand Mesure, co-secrétaire départemental du syndicat enseignant SNUipp-FSU et professeur en maternelle à Trappes, va plus loin sur les risques liés à ces outils technologiques. Pour lui, avec une tablette, les élèves « n’ont plus cet éveil indispensable, à la fois au développement moteur et sensoriel, mais aussi au développement du cerveau ».
Il évoque « plusieurs troubles » : hyper-excitabilité, difficultés de concentration dues à une trop forte exposition aux écrans, problèmes « de motricité fine car la main n’est pas assez sollicitée », de représentation « qui fait que la qualité des dessins des jeunes enfants est en train de s’effondrer », difficultés dans l’apprentissage du graphisme, problèmes dans les interactions avec les jeunes enfants, mais aussi « un développement massif de la myopie » dans les pays les plus avancés sur l’utilisation des tablettes.
Il pointe également du doigt les conséquences d’une dématérialisation de l’apprentissage. « Quand vous faites un geste de balayage sur une tablette, ça n’a rien à voir avec le fait de prendre un livre, de vous asseoir, d’en feuilleter les pages, fait-il remarquer. […] Sur une tablette, vous ne développez pas bien la vision en relief, par exemple, regarder une pomme sur une tablette n’est pas la même chose que la regarder sur une table. »
Parmi les autres points d’inquiétude, la formation des enseignants à ces nouveaux outils. Celle-ci « s’est étiolée de façon dramatique, déplore Bertrand Mesure. Quand vous êtes dans une période de restriction budgétaire, c’est là-dessus que vous allez taper en premier. De plus, [elle] suppose des moyens de remplacement : quand un enseignant n’est pas dans sa classe, il faut le remplacer, et énormément de formations continues sont annulées car le jour de la formation en question, il n’y a pas de moyens pour remplacer l’enseignant dans sa classe. »
« Le délai (de déploiement à SQY, Ndlr) on le trouve un peu trop court, abonde Manuela Afonso. Pour former tous les professeurs de SQY, ça risque d’être bâclé. à l’heure actuelle, les professeurs sont surtout formés à l’utilisation de leur ordinateur en association avec un TNI ou un vidéoprojecteur. C’est quelque chose qu’ils travaillent en local, sur leur machine qu’ils connaissent par cœur. Là, ils vont devoir travailler sur un espace partagé type ENT, comme dans les collèges, et il va falloir en plus apprendre aux enfants à l’utiliser […] Il n’y a rien de pire qu’un enseignant qui se retrouve face à un tableau ou veut apprendre à des enfants à utiliser un appareil avec lequel lui-même n’est pas à l’aise, ça risque de faire perdre plus de temps qu’autre chose. »
Actuellement, les formations s’effectuent dans le cadre d’une convention entres les Villes et l’Éducation nationale. « La collectivité finance les outils, les aménagements, et l’Éducation nationale forme les enseignants, rappelle Anne Capiaux. Il y a deux volets : un volet éducation nationale (16 ou 18 heures de formation dans l’année, Ndlr), et on a développé des médiapoles, des centres pour les enseignants que l’on a ouverts à l’ensemble du 78. L’idée est que les enseignants puissent se former quand ils le veulent et entre eux. Il y en a un à Élancourt et là, on en ouvre un à Bois d’Arcy. »
Sur son site internet, le ministère de l’Éducation nationale développe certains éléments : « Au sortir de sa formation universitaire, tout nouvel enseignant doit avoir acquis les compétences d’usage et de maîtrise raisonnée de l’information et de la communication dans sa pratique professionnelle. » Le ministère met aussi en avant M@gistère, « un dispositif de formation tutorée et interactive, conçu pour les enseignants du premier et du second degré qui s’intègre ou complète l’offre de formation existante ».
Autre difficulté avancée par les détracteurs du numérique, la complexité technique de sa mise en place. « Ça demande des investissements très lourds et des moyens de maintenance très compliqués à mettre en œuvre, argue Bertrand Mesure. Les écoles n’ont pas été conçues pour ça. Vous n’avez pas de réseaux installés, c’est toujours très compliqué, ça nécessite un matériel peu adapté au monde scolaire. » D’autre part, « l’évolution est portée par quelqu’un qui assure le service, vous n’avez pas la possibilité en tant qu’enseignant de mettre ce que vous voulez sur les tablettes », d’après le délégué syndical.
Ses doutes sont également dus à des précédents d’outils technologiques dans le milieu scolaire, qui se sont selon lui soldés par un échec : « J’ai connu le plan informatique pour tous, les premiers TNI, qui étaient une catastrophe, tout cela car à chaque fois, on n’écoutait pas les besoins des personnels sur le terrain. »
Mais pour Jean-Michel Fourgous, le déploiement du numérique dans les écoles est incontournable pour élaborer au mieux l’avenir des élèves. « Il faut bien que les enfants se préparent à une société où la majorité de leur action, ils vont la faire faire par le robot, affirme l’élu saint-quentinois. Les grands cabinets disent que demain, 80 % des métiers vont dépendre du numérique, donc il faut préparer cette employabilité numérique à SQY, d’autant plus avec les entreprises que nous avons. C’est comme cela que l’on baissera le chômage, en formant les gens aux métiers qui existent et vont se développer. […] Tout cela vise à renforcer l’employabilité des élèves. » Et de conclure : « L’éducation avec le numérique est l’outil le plus puissant pour changer le monde. »