Les symptômes étaient pourtant là. Mais il a fallu à Bharti Kapar passer par quatre docteurs, des mois d’errance médicale et plusieurs semaines d’alitement, avant que soit enfin diagnostiquée la maladie derrière sa toux coriace et ses douleurs au ventre: la tuberculose.
Cette jeune femme d’une commune pauvre périphérique de New Delhi est l’un des 2,7 millions de nouveaux cas estimés de tuberculose chaque année en Inde. Avec plus d’un quart des cas mondiaux, le géant d’Asie du Sud est la nation la plus touchée de la planète par cette maladie qui accompagne l’humanité depuis des millénaires. Il s’est cependant juré d’en venir à bout au cours des prochaines années.
Déclarée guérie en avril au terme de cinq mois de traitement rigoureux, à avaler sans faute plusieurs pilules par jour, Bharti Kapar reste exténuée par l’épreuve. Elle doit se forcer pour s’aventurer hors de l’étroit logis familial qu’elle partage avec sa mère, ses deux frères et une belle-sœur.
“Parfois je sens que ma respiration est difficile, ce n’est pas normal. Je n’ai plus aucune énergie. Je n’ai pas envie de sortir, je n’ai envie de rien faire”, confie la femme au foyer de 24 ans.
Un patient reçoit sa dose quotidienne de médicaments contre la tuberculose, le 26 septembre 2019 à New Delhi ( AFP / Money SHARMA )
Alors que la France accueille mercredi et jeudi à Lyon la collecte de fonds triennale du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le gouvernement indien s’est fixé l’année 2025 comme horizon pour mettre un terme à l’épidémie de tuberculose dans le pays de 1,3 milliard d’habitants. Un objectif ambitieux, probablement trop.
– 2.100 crashs d’avions –
Pourtant, cet effort de guerre “n’est pas que de la rhétorique, il se concrétise dans les faits. Par exemple, le budget consacré à la tuberculose en Inde a doublé entre 2016 et 2018”, se félicite le Dr Jamhoih Tonsing, directrice du bureau Asie du Sud-Est de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires.
Un patient reçoit son traitement quotidien contre la tuberculose, le 26 septembre 2019 à New Delhi ( AFP / Money SHARMA )
Création d’une base de données nationale, rapprochements entre les secteurs de santé public et privé, programmes de porte-à-porte, systèmes de suivi de patients, projets pilotes de recours à l’intelligence artificielle… Autorités sanitaires et organisations indépendantes ont sonné la mobilisation générale, transformant l’Inde en principale ligne de front contre la tuberculose.
Mais si les experts saluent les avancées face à cette infection, qui se transmet par voie aérienne via des gouttelettes de salive lorsqu’une personne contaminée parle ou tousse, le délai fixé par le Premier ministre Narendra Modi leur paraît intenable.
L’incidence de la tuberculose en Inde “diminue actuellement chaque année d’environ 2%. Mais pour atteindre l’objectif de 2025, nous aurions besoin que cela baisse d’au moins 10% par an”, note le Dr Jamhoih Tonsing.
Fléau majeur dans les pays occidentaux jusqu’au milieu du XXe siècle, la tuberculose y est devenue résiduelle grâce aux progrès de la médecine et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Elle sévit aujourd’hui surtout dans les pays en développement.
En 2017, 421.000 Indiens ont succombé à la tuberculose, soit l’équivalent de… 2.100 crashs d’avions Boeing 737 MAX, d’après une comparaison du site IndiaSpend.
– “Maladie de l’homme pauvre” –
Graphique montrant le nombre de cas de tuberculose en 2017, dont les 558 000 cas de tuberculose multirésistante ( AFP / John SAEKI )
Au-delà de la crise sanitaire, cette maladie a aussi un lourd coût économique pour la société.
Sa bactérie s’attaque principalement aux hommes entre 24 et 58 ans, la principale force de travail en Inde, et de milieux modestes. Un ensemble de facteurs (malnutrition, surpopulation, migrations, tabagisme…) contribue en effet à diminuer les défenses immunitaires de ces derniers et les rend plus vulnérables.
“La tuberculose reste avant tout une maladie de l’homme pauvre. En ce sens, investir (pour la combattre) soutiendra probablement l’économie, diminuera la pauvreté et améliorera de façon globale la santé du foyer”, décrit Shibu Vijayan, un responsable tuberculose de l’ONG PATH.
Dans un quartier déshérité aux ruelles encombrées au sud de New Delhi, des tuberculeux viennent prendre leur dose quotidienne de médicaments dans une minuscule clinique. Certains visiteurs portent un masque ou un foulard noué devant la bouche pour éviter de contaminer les autres.
Une tablette numérique affiche les noms et numéros de téléphone des patients qui doivent venir ce jour-là ingérer leurs médicaments, permettant ainsi de vérifier qu’ils suivent scrupuleusement leur traitement.
Les mauvaises administrations de médicaments antituberculeux, ou des traitements interrompus avant leur terme, sont responsables de la propagation de la tuberculose multirésistante.
L’Organisation mondiale pour la santé (OMS) suit avec inquiétude cette forme de tuberculose résistante aux médicaments traditionnels, au taux de mortalité de 50% comparable à celui d’Ebola, susceptible de remettre en cause les progrès accomplis au cours des dernières décennies.
Avec la tuberculose multirésistante, estimée à environ 600.000 cas dans le monde, dont 135.000 en Inde, “nous avons créé un monstre”, constate Sandeep Ahuja, co-fondateur de l’ONG Operation ASHA. “Maintenant il faut le contrôler. Les chiffres sont encore gérables”.