Du Diplôme d’Etat Infirmier au Master : tous à l’université !

Du Diplôme d’Etat Infirmier au Master : tous à l’université !

En France, les infirmiers qui souhaitent se réorienter ou évoluer en dehors des spécialités professionnelles traditionnelles (infirmier de bloc opératoire ou anesthésiste, cadre de santé etc.) ne sont pas toujours au courant des possibilités universitaires qui se présentent, ni des débouchés concrets possibles. Article paru dans le numéro 30 d’ActuSoins Magazine (septembre 2018). 

« Il y a trop peu d’information sur les possibilités universitaires, malgré la réforme LMD des études en soins infirmiers », constate Vincent Lautard, juriste en droit de la santé et responsable de pôle d’un centre de formation continue à la Croix-Rouge Occitanie.

Cet ancien infirmier, diplômé en 2008, lui-même passé par un diplôme universitaire (DU) en sciences juridiques puis un master 2 en droit de la santé et de la protection sociale, regrette que les professionnels de santé demeurent en marge de la filière universitaire. « C’est dommage, parce que les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) sont affiliés aux facs, que l’information pourrait être mieux diffusée et que cela permettrait de stimuler la profession», ajoute-t-il. C’est dommage aussi, parce que certains professionnels ne se voient pas évoluer vers les filières classiques et aimeraient, soit pour leur culture propre, soit pour envisager une autre profession, s’engager vers une autre voie.

Un manque d’information

Côté étudiants en soins infirmiers, le constat est le même. « Les étudiants ne connaissent pas ces branches. Moi-même, je n’avais jamais entendu parler de masters avant d’entrer à la Fnesi », explique Lucie Léon, ancienne vice-présidente en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), qui regrette que la diffusion de l’information soit aléatoire d’un IFSI à l’autre. « Cela va dépendre des formateurs et de leurs centres d’intérêt. Cela va dépendre des promotions aussi », souligne-t-elle.

 

Il faut dire que le cursus n’est pas si fluide. Contrairement aux autres étudiants qui, par exemple, après une licence en psychologie suivent un master en psychologie, ou encore après une licence en droit, suivent un master en droit, les candidats issus de la filière infirmière n’ont pas de voie toute tracée, à l’exception des nouvelles formations menant au futur diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée (voir encadré ci-dessous sur les IPA). D’où la difficulté à s’orienter.

Face aux carences informatives, Lucie Léon préconise de mieux sensibiliser les futurs professionnels, dès leur formation initiale. Il faudrait aussi, selon elle, que la formation des cadres formateurs « évolue », que les liens avec les universités « soient mieux établis » et que de vraies campagnes de communication « soient mises en place dans les IFSI ». « On pourrait tout à fait imaginer que des heures optionnelles soient consacrées à cette information en faisant venir des intervenants de master dans les IFSI », explique-t-elle.

Entrée en Master 1 : les pré-requis

Selon l’ancienne vice-présidente de la Fnesi, « rien n’est impossible, enfin presqueLa formation initiale valide tellement d’UE (Unités d’Enseignement) que les étudiants peuvent se retrouver dans plusieurs parcours ».  Il y a le grade licence, obtenu par tous les étudiants en soins infirmiers diplômés depuis 2012, qui leur permet théoriquement d’accéder à toutes sortes de masters. Avec une limite néanmoins : depuis début 2017, une loi* autorise les universités à fixer des capacités d’accueil au sein de leurs masters et admettre les étudiants en M1 (1ere année de master) après un concours ou l’examen de leur dossier.

Pour les autres infirmiers – diplômés avant 2012 -, la sélection se fait après une validation des études supérieures (VES) et sur dossier. « Pour ce type de profil, l’idéal reste d’avoir une année d’étude supplémentaire de licence après le DE. Ou plusieurs Diplômes Universitaires à faire valoir. Il faut aussi présenter un projet professionnel bien établi », recommande Hubert Jaspard, directeur adjoint des études de l’EHESP (École des hautes études en santé publique).

Des problèmes persistants à la sélection

Si la loi permettant aux universités de « recruter » sur dossier ne semble pas représenter un frein aux admissions d’infirmiers en M1 – le recul est en tout cas insuffisant pour en préjuger -, ce qui bloque depuis toujours, c’est plutôt le parcours initial des professionnels, même si ces derniers sont issus de la réforme LMD. « Notre force avec l’acquisition de connaissances et compétences pluridisciplinaires est aussi notre faiblesse : nous validons beaucoup d’Unités d’Enseignement, mais jamais de façon exhaustive pour un autre parcours.Si l’on souhaite intégrer un master en santé publique, on aura acquis l’essentiel, mais il manquera toujours quelques UE par rapport à un étudiant qui sort d’une licence correspondante. Idem pour la psychologie et la sociologie par exemple. Il y a beaucoup d’étudiants qui se font recaler à cause de cela ou alors qui doivent s’inscrire en L2 (deuxième année de licence) ou en L3 (troisième année de licence) », explique Lucie Léon.

« Le problème d’une réforme comme celle-ci – la réforme LMD pour les infirmiers, ndlr-, c’est que cela prend du temps. Il faut être patient. Il faudra une dizaine d’années pour que cela se normalise et que les étudiants en soins infirmiers soient vraiment considérés comme les autres étudiants universitaires. Néanmoins, nous constations déjà que les infirmiers sont de mieux en mieux armés pour une entrée en M1. Ils postulent plus et sont aussi davantage retenus en sélection », souligne de son côté Hubert Jaspard, chiffres à l’appui. En 2018, sur 370 candidatures examinées pour une entrée en M1 en santé publique, sciences sociales et management, l’EHESP a recensé 80 profils infirmiers (soit 25 % de candidats). Ils ne représenteront finalement que 10 % des admis.

Ce qui est déjà mieux qu’avant. « Il y a quelques années, les candidatures infirmières étaient marginales. Il n’y avait parfois pas de candidats pour ce type de master », se souvient Hubert Jaspard.

S’accrocher, avoir un but

 « Il faut s’accrocher, se donner les moyens et s’affirmer », conseille Eve Guillaume, une ancienne infirmière – elle aussi passée par la Fnesi – qui, après avoir suivi un master 1 en santé publique et sciences sociales, puis un Master 2 en pilotage des politiques et actions en santé publique, étudie pour devenir directrice d’un établissement sanitaire et social. « C’est un parcours qui se construit au fil des années. Il y a dix ans, lorsque j’ai commencé un cursus infirmier, jamais je n’aurais imaginé cela ».

Si le parcours peut parfois être semé d’embûches, notamment en matière d’accès à l’information et au caractère non acquis des équivalences licence, les infirmiers, contrairement aux idées reçues, sont tout à fait compétents pour rebondir, s’ils le souhaitent, vers d’autres cursus. Ils sont même très appréciés dans les promotions universitaires.

« Les infirmiers ont des facilités en master de santé publique car ils arrivent à faire le lien entre l’organisation des établissements et la place du patient.  Ils parviennent aussi à mieux comprendre la difficulté de mise en œuvre des décisions des pouvoirs publics.Pour les infirmiers, le terrain n’est pas uniquement conceptuel,souligne Hubert Jaspard. Ainsi, nous avons des infirmiers majors de promotion en M1 ».

« Notre formation initiale infirmière nous donne un regard différent, plutôt apprécié des directeurs. C’est une plus-value car nous avons davantage de capacité à engager le dialogue avec les soignants et comprendre leur environnement de travail », confirme Eve Guillaume.

Mais il faut rester vigilant. En reprenant des études, les infirmiers rencontrent parfois des difficultés, là où les autres universitaires n’en ont pas. « Nous avons remarqué que les lacunes se situent sur la rédaction des travaux de réflexion et de problématisation. Ils ont moins de bagages par rapport à un parcours classique universitaire et ont souvent des difficultés à argumenter », explique Hubert Jaspard. « Mais ce n’est qu’une généralité, insiste-t-il. On recommande donc de se prévaloir d’une véritable culture universitaire avant de se lancer dans de tels parcours ».

Le financement en question

Autre obstacle à la reprise d’études universitaires : le coût des formations. Si la poursuite d’études en formation initiale – études qui doivent se dérouler dans les deux ans qui suivent l’obtention du DE – demeure relativement accessible (quelques centaines d’euros au plus), celle en formation continue (à tout autre moment de sa carrière) peut s’avérer très onéreuse. Certains masters affichent ainsi des tarifs allant jusqu’à 6000 euros pour une année de M1 en formation continue.

« Parfois, les universités s’adaptent et proposent le tarif applicable à la formation initiale lorsque le candidat n’a pas obtenu de financement pour sa formation continue. Mais cette pratique reste marginale », explique Eve Guillaume.

Alors, les professionnels doivent trouver des solutions. Même s’il faut parfois mener un véritable parcours du combattant pour parvenir à ses fins, il y en a. Le CIF (Congé Individuel de Formation) pour les salariés du secteur privé et le CFP (Congé de Formation Professionnelle) pour les salariés du secteur public, permettent de s’absenter pour une formation, tout en continuant à percevoir son salaire. La formation peut également être prise en charge. Le CPF (Compte personnel de formation) permet quant à lui, de cumuler 120 heures de droit à la formation. Mais par le biais d’autres enveloppes dédiées aux plans de formation des établissements, les OPCA (Organismes paritaires collecteur agréés) peuvent proposer une rallonge. Dans tous les cas, les professionnels sont invités à se renseigner auprès du service de formation continue de leur établissement et ou auprès de leur OPCA de branche.

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